La révolution dans l’éducation : un nouveau rapport au savoir

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La révolution dans l’éducation : un nouveau rapport au savoir

Internet a révolutionné l’accès au savoir. Que penser de la révolution dans l’éducation ?  Les institutions évoluent certes lentement et l’arrivée de nouvelles technologies, comme les MOOCs, n’a eu jusqu’ici qu’un impact limité. Tout indique pourtant que nous sommes à l’aube de grands changements. Ce ne sont simplement pas les nouveaux outils qui vont changer la donne, mais l’évolution en profondeur des sociétés et des économies.

Comme le note Emmanuel Davidenkoff dans un essai stimulant sur le « tsunami numérique » dans l’éducation, les adolescents des pays développés passent déjà plus de temps devant leurs écrans qu’en classe. Certes, ils ne consacrent pas ces 1500 heures à suivre les MOOCs de Stanford ou de l’X. Mais leurs manières d’échanger, d’apprendre, d’accéder au savoir, leur capacité à se concentrer, le rythme de leurs activités ne sont plus les mêmes. Et cette évolution, qui touche un nombre grandissant d’enfants bien au-delà des pays développés, est permanente.


De la réforme à la révolution?

 


Dans ce contexte, on est frappé par le télescopage entre deux rythmes très différents : celui, lent, des réformateurs qui travaillent depuis des décennies à faire évoluer les pratiques, et celui de la révolution dans l’éducation qui renverse la table.

Car les pratiques et doctrines éducatives n’ont pas attendu le numérique pour commencer à changer. En 1999 déjà, l’Unicef se félicitait déjà d’une « révolution de l’éducation », qui se manifestait aussi bien dans un meilleur accès à l’enseignement que dans l’évolution sensible des méthodes pédagogiques. En quelques décennies, les expériences et les idées de Maria Montessori et Jean Piaget, voire d’innovateurs radicaux comme A. S. Neil et Ivan Illich, qui semblaient si hardies dans leur promotion de l’autonomie de l’enfant et de la liberté des apprentissages, ont été partiellement absorbées et intégrées dans la pédagogie contemporaine.

Depuis 1999, la large diffusion des enquêtes PISA a beaucoup contribué à cette révolution dans l’éducation, en mettant en évidence les performances des cultures éducatives plus novatrices, celle de la Finlande par exemple.

Mais, en 2015, nous n’en sommes déjà plus là. Si les visions modernisatrices portées par les réformateurs de l’Unicef et d’ailleurs font désormais consensus, d’autres sont apparues, plus radicales. Elles sont formulées par une nouvelle génération d’auteurs, qui ont en commun de n’être pas des spécialistes de l’éducation, mais de l’innovation. Habitués à penser « en dehors de la boîte », ils ont une idée précise des technologies émergentes et une conscience très vive des grands changements qui affectent le monde. Parmi ces figures, l’une des plus écoutées est Seth Godin. Il a consacré à l’éducation un essai remarqué, Stop Stealing Dreams, paru en 2012.

Les systèmes éducatifs d’aujourd’hui, rappelle-t-il, se sont développés avec la révolution industrielle. Et ils en portent la marque : des enfants assis en rang, qui doivent suivre les consignes, se montrer ponctuels et assidus, tout cela sous la houlette d’un (contre-)maître, cela ne vous rappelle rien ? « Une partie des arguments utilisés pour faire accepter aux élites de l’époque le développement de l’école publique, c’est l’idée que des enfants éduqués donneraient des travailleurs plus dociles et plus productifs. L’éducation à grande échelle n’a pas été créée pour motiver les enfants ou pour former des savants. Elle a été inventée pour former les adultes destinés à faire fonctionner un certain système économique. L’échelle était plus importante que la qualité, exactement comme dans le monde industriel d’alors. »

Une critique similaire a été formulée, en Europe, sur la vocation des écoles allemandes ou françaises de la fin du XIXe siècle à former de bons petits soldats. L’insistance sur l’obéissance, la discipline et la ponctualité ne serait pas simplement un choix pédagogique, mais la traduction d’enjeux sociaux et économiques reflétant les exigences de l’époque, son besoin de discipline, sa manière d’organiser les armées et les usines.

Seth Godin repère même dans certaines « technologies éducatives », comme le test à choix multiples inventé en 1914 par Frederick J. Kelly, des outils caractéristiques de l’organisation scientifique du travail, animés par la même ambition de simplifier, décomposer, optimiser et mesurer l’activité. Remplir correctement des cases, telle serait la performance attendue des écoliers lambda, voués à devenir des travailleurs standard, avant de céder aux délices de la consommation de masse.

Or, dans une économie mondialisée où une part croissante de la production est automatisée, tout cela devient absurde. Godin l’explique en deux phrases : « Si vous faites un travail où quelqu’un vous dit exactement quoi faire, tôt ou tard il trouvera quelqu’un de moins cher pour faire la même chose. Et pourtant nos écoles continuent à produire en série des enfants qui chercheront en vain, ensuite, des emplois où le patron leur dit exactement quoi faire. » Godin évoque peu la question des robots, mais elle renforce encore son argument en minant la valeur d’un certain nombre de compétences. Il existe en effet un nombre grandissant d’activités que les machines réalisent plus vite, mieux et à moindre coût que les hommes, en particulier celles qui impliquent une capacité à raisonner, à enchaîner une série d’actions logiques.

Les technologies condamnent donc l’école telle que nous la connaissons, celle des gamins qui écoutent le maître et suivent les consignes. Non pas les technologies de l’offre éducative, ni les smartphones qu’on ne peut s’empêcher de regarder au lieu d’écouter le professeur. Mais celles qui bouleversent l’économie et redéfinissent le travail humain.


L’éducation nouvelle : la révolution dans l’éducation

 


 


Le but de Seth Godin n’est pas tant de critiquer le système actuel que d’imaginer l’éducation de demain. L’un de ses axes est la connexion. La révolution industrielle n’a pas inventé la manufacture, explique-t-il : elle l’a développée jusqu’au point où cela a tout changé. Et la révolution actuelle n’a pas inventé de connexion, bien sûr, mais elle en fait la force dominante de l’économie : relier les gens les uns aux autres ; les connecter à des données ; connecter des entreprises ; connecter des « tribus » d’individus apparentés pour en faire des organisations plus grandes et plus efficaces.

L’impact de cette « révolution de la connexion » est profond et a un impact de révolution dans l’éducation  : « Dans le monde connecté, la réputation vaut mieux que les résultats des tests. L’accès aux données signifie que ce ne sont plus les données qui ont de la valeur, mais le traitement qui en est fait. Surtout, le monde de la connexion récompense ceux qui ont une irrépressible envie d’agir et de mener. Dans le monde pré-connecté, l’information était rare, et il était intelligent de thésauriser. Les informations devaient être traitées isolément, par des individus. Après l’école, vous deviez vous débrouiller.

Dans le monde connecté, la rareté est remplacée par l’abondance – une abondance de l’information, des réseaux et des interactions. »

L’abondance de l’information impose un nouveau rapport au savoir et redéfinit radicalement l’institution scolaire : « La structure industrielle des écoles exige que nous donnions le savoir pour certain. Que les choses soient vérifiables, qu’elles soient hors de question. Après tout, si les sujets sont ouverts au débat, qui va en débattre ? Nos étudiants. Mais les étudiants ne sont pas là pour débattre, ils sont là pour apprendre, accepter et obéir. Or dans nouvelle vie civique, scientifique et professionnelle, tout devient sujet de doute. La grande vertu, c’est de remettre en question le statu quo, de remettre en question des affirmations marketing ou politiques, et surtout, de se demander ce qui viendra ensuite. »

Godin résume son propos, en proposant d’abandonner l’approche industrielle qui produisait des étudiants selon des principes top-down, pour adopter  les outils beaucoup plus humains, personnels, beaucoup plus puissants aussi qui nous permettront de produire une nouvelle génération de dirigeants.

La critique radicale portée par Godin a ses limites, et comme le suggère sa dernière phrase elle fait bon ménage des quelques milliards de citoyens lambda qui n’ont pas en eux la fibre d’un inventeur ou d’un entrepreneur. Mais on est frappé par la vigueur de sa pensée, qui éclaire les bouleversements en cours. Car il nous invite à tout reconsidérer : aussi bien des notions fondamentales comme l’élève, l’enseignant, la classe, le savoir, que des activités comme apprendre ou évaluer. « Hier encore, tout était simple: l’enseignant était le contremaître, le conférencier, la source des réponses, et le portail de ressources, en une seule personne. » L’école est une forme historique datée. Pour l’avenir, tout est ouvert.

La révolution dans l’éducation ouvre ainsi une dizaine de chantiers, soit en formulant des propositions précises, soit en suggérant des principes, soit en appelant à réfléchir sans tabou : les devoirs dans la journée et les cours dans la soirée, un accès à n’importe quel cours, n’importe où dans le monde, une instruction précise plutôt que générale, la fin des questionnaires à choix multiples, la promotion de la coopération, une transformation du rôle de l’enseignant, un apprentissage vraiment conçu pour être poursuivi tout au long de la vie… C’est ça la révolution dans l’éducation.

Et la liste, bien sûr, reste ouverte.

Article paru dans la revue ParisTech : cliquez ici