Nos adolescents d’aujourd’hui vont bien !

Nos adolescents d’aujourd’hui vont bien !

 « Nos adolescents d’aujourd’hui vont bien, merci. Et si nous leur faisions confiance » ? » (Bayard, 2015) .

Cet article est paru dans le Huffington Post du 2 novembre et écrit par Michel Fize, Sociologue au CNRS, membre de l’Exécutif national du Mouvement des Progressistes et conseiller régional Ile de France. Il se veut « poil à gratter » sur tous les préjugés et poncifs de cette soi-disant crise de l’adolescence et évoque la sortie du livre « Nos adolescents d’aujourd’hui vont bien, merci. Et si nous leur faisions confiance » ? » (Bayard, 2015) dont le titre semble contredire le contenu.

Nos adolescents 

« J’aimerais m’entretenir avec vous du dernier livre des auto-proclamés experts de l’adolescence : les Jeammet, Huerre, Cyrulnik, éminents apôtres de la psych-iatr-analyse française (discipline obtenue par ce curieux mélange de plusieurs autres: la psychologie, la pédiatrie, la psychiatrie, la psychanalyse) et quelques autres noms.

Après avoir construit toute leur vie professionnelle, et leur notoriété médiatique, sur la très populaire fable d’une « crise généralisée de l’adolescence », sur le préjugé d’un âge pathogène en soi, les voilà, ces messieurs-dames, qui sortent du bois pour nous dire (enfin !), dans un ouvrage collectif, que nos Adolescents d’aujourd’hui vont bien, merci.

Dois-je rappeler que je tiens ce discours de vérité depuis une bonne vingtaine d’années, que, durant tout ce temps, je n’ai cessé de clamer, à longueur d’ouvrages ou de conférences, que l’on ne saurait généraliser la pathologie de quelques adolescents à une classe d’âge tout entière, que la majorité des garçons et filles adolescents se portent bien, que si parfois ils vont mal la faute en incombe moins à leurs hormones ou à leurs neurones qu’aux exigences et défaillances d’une société en désamour avec cette génération, qui les accable à l’école, leur pourrit l’avenir (ce que semblent enfin reconnaître les auteurs à la fin de l’ouvrage).

Cependant, on ne renonce pas si facilement à des années de tartufferies, à tant d’imprégnations idéologiques et de prétendus savoirs savants. On met ce mal être sur le compte  d’une transformation des corps de nos adolescents si rapide que le pubère n’a pas le temps de s’y habituer. Une inquiétante étrangeté du sujet devant le miroir. Une « identité en chantier » (n’en avait-il pas une durant l’enfance ?). Des complexes, à tout va.

Tout ceci est sinon toujours inexact, du moins fortement exagéré. Médicalement parlant, le phénomène pubertaire n’est ni soudain ni brutal, il s’étale sur plusieurs années, ce qui permet au pubère de se familiariser avec lui – ce que nous dit l’adolescent normal, avant d’ajouter que cette modification est de toute façon agréable pour lui, le valorise absolument.

Une autre idée exprimée dans le livre est que les adolescents seraient des espèces de  » moutons de Panurge », au motif qu’ils vivent en groupe. C’est tout aussi grotesque. En groupe, les adolescents savent conjuguer conformité et individualité.

Autre chose : tous les sentiments attribués aux adolescents dans ce livre sont considérés comme des sentiments négatifs : d’insuffisance, de faiblesse ou d’inachèvement. Désir de la différence, désir de reconnaissance, de faire l’amour… La suite n’est pas moins inquiétante et alarmante. L’école semble se résumer au harcèlement sexuel, l’Internet à des connexions dangereuses ou à un enfermement par sur-consommation [la spécialiste sollicitée préconise tout simplement de mettre les adolescents au lit à 21h30-22h maxi ! Bon courage ! ], les loisirs à des prises de risque, le sommeil à des carences…

En résumé, les fameux adolescents qui « vont bien, merci » apparaissent dans ce livre comme des espèces de  » demeurés », surconsommant tout ce qui leur tombe sous la main, somnolant tout ce qu’ils peuvent en classe [si les cours étaient moins ennuyeux, peut-être resteraient-ils éveillés, non?].

Comprendre l’adolescence normale ne s’improvise pas. Elle suppose d’abord de lire les chiffres correctement. En statistique comme en politique, seule la majorité compte.

Relisons donc les données des études, enquêtes et sondages utilisés ici par nos auteurs, pour faire apparaître les majorités qui comptent. Voici les résultats: 80% des élèves de grande section et trois collégiens sur quatre ne disposent pas de poste de télévision dans leur chambre; 90% des 5-6 ans et les trois quarts des 11-12 ans pas d’ordinateur. Ce qui peut d’ailleurs expliquer que 90% des 5-6 ans et autant chez les 11-12 ans ne présentent aucun trouble du sommeil. Mais regardons tout de même du côté des insomniaques. Que font-ils après leur réveil nocturne? 94% n’en profitent pas pour jouer sur internet, 89% n’en profitent pas pour se connecter sur les réseaux sociaux, 89% n’en profitent pas pour envoyer des sms. Que font-ils donc? Ils se RENDORMENT! Terminons, pour ne pas être trop long, par les fameuses « représentations de soi » des adolescents, problématiques comme il se dit. Eh bien, non, près des deux tiers des adolescents ne se sentent pas différents des jeunes de leur âge. Neuf sur dix s’estiment bien dans leur corps (19% seulement s’avouent complexés). 

Nous aurions aimé que ces chiffres  » majeurs » soient mis en avant dans ce livre. Cela n’a pas été le cas. Pourtant, les auteurs insistent à nous dire, une dernière fois, que les adolescents vont bien, en se référant à une statistique indiquant qu’un tiers avoue que… la vie est triste. N’eut-il pas été préférable, pour valider cette bien-portance adolescente, de dire que les deux tiers des adolescents sont heureux de leur vie?

Enfin, il ne suffit pas, en fin d’ouvrage, de tenir des propos faussement complices avec les adolescents, ou un brin moralisateur tout de même, pour espérer nous avoir convaincus de votre conversion à une adolescence somme toute âge très ordinaire et exceptionnel à la fois.

Vous l’avez compris, le titre Adolescents d’aujourd’hui, ils vont bien merci, est un titre trompe l’œil, puisque le contenu le contredit en permanence, à la limite assurément de la malhonnêteté intellectuelle.

Non, décidément, on ne devient pas spécialiste de « l’adolescence normale », par simple décret éditorial. Je ne peux, en conclusion, que conseiller à chacun et à tous de ne pas perdre de temps à lire ce livre, et de plonger, par exemple, dans  » L’adolescence pour les NULS », que je crois d’un meilleur profit. Vraiment.

Vous pouvez lire l’article sur le site du HuffPost  ici

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